Chantal Portillo est romancière, nouvelliste, essayiste

20220626 142136Elle est aussi art-thérapeute, spécialisée dans tout ce qui est médiation culturelle et artistique au service de la relation, et d’un espace à construire pour chacun, par, et dans la création.  Elle anime, à Paris et en province, des ateliers de lecture, d’écriture, des rencontres littéraires, Dialogues Littéraires, dialogues entre deux écrivains, et des rencontres sur la création. Récits de la Création qui interrogent ce grand élan de la création.

Pourquoi écrivez-vous ?

est l’une des questions qui arrive presque tout de suite dans les échanges avec les lecteurs.

En fait, je suis bien en peine de répondre. Sinon que l’écriture s’impose et qu’elle  est tantôt une grâce, tantôt un fardeau, selon les jours, mais elle est, sans doute aucun, ma liberté absolue.

 

 

Les thèmes :

Vos thèmes, me demande-t-on souvent, quels sont les thèmes qui traversent votre œuvre, ceux qui vous inspirent ?

J’ignore si j’ai vraiment des thèmes, les textes arrivent sans que n’y puisse rien, quasiment contre ma volonté, au hasard des rencontres, de mes émotions, de mes réflexions, du chemin… Brusquement, je me rends compte que celui-là il était en moi depuis longtemps et là, il me fait signe, il arrive et je ne peux que l’écrire, c’est le cas pour Et que la nuit glisse sur le bleu de ta jupe. Ca Surprend lorsque j’affirme que c’est le personnage de Bleuet, cette fille qui ne peut parler, dans lequel je me reconnais le plus. J’étais une enfant assez empêchée de parler, et si elle offre son corps comme une terre d’accueil, j’offre de la même façon la chair de mes textes.

Je réponds donc : tout ce qui rend humain. Mais qu’est-ce qui rend humain ? Qu’est-ce qui est humain ?

Jusqu’au cœur des ténèbres, comme disait Conrad, je cherche partout la trace de l’humain. J’aime creuser l’ombre qu’on évite dans le miroir, qu’on repousse et qu’on ne reconnaît surtout pas sienne. J’ai conscience du monstre en moi, conscience qu’il est aussi moi et que si je tente d’avancer vers la lumière, je dois négocier, cheminer avec lui. Ecrire, c’est cohabiter avec le monstre en soi, accueillir sa peur, et même l’aimer. A ce prix, un instant, on arrive à le pacifier.

Je me souviens de l’écriture de La Croqueuse, j’étais en rando, il pleuvait, il faisait froid sur le Mont Lozère. Le personnage féminin m’était très antipathique, je n’arrivais pas à le saisir, à entrer en relation avec lui, mais je ne pouvais pas m’en débarrasser. C’est en glissant dans la boue, les mains dedans que j’ai l’ai trouvée, elle. Comme elle, je pouvais être bâtie à cette aune, j’étais aussi de boue.

Les différentes étapes de notre vie me passionnent. J’ai envie d’explorer tous les âges. Ce que nous avons vécu, ce que nous avons à vivre. De la naissance à la mort avec les doutes, les joies et les chagrins, le corps qui s’amenuise au fil du temps, et ce si grand bonheur d’être vivant. Il n’y a rien à jeter.

 

Les questions :

L’amour
est une grande question, la question essentielle, elle recouvre, réunit toutes les autres. Qu’est-ce qu’aimer ? Jusqu’où peut-on être aimé comme l’on est ? Suis-je capable d’aimer ? Je n’en suis pas sûre, sans doute en ai-je une trop haute idée. Mais peut-on aimer frileusement, mesurer cet amour ? Non, il ne peut être que très haut, très beau, investir entièrement, profondément l’être, résister au quotidien, à la fatigue, à la maladie, à l’usure.  Les bras grands ouverts et en générosité.  

Je fais une grande différence entre être aimée, et aimer. Etre aimée, je m’en repais, et je me nourris de cet amour, je jubile et je m’envole, mais aimer…aimer … face à cette question, je me sens bien petite. C’est une question que je traverse qui me traverse sans cesse. Je la travaille et elle me travaille. Je cesserai d’écrire quand je saurai y répondre. C’est la question de La femmepluie, texte qui m’a ravagée.

Et l’amitié, cet amour a une immense place dans ma vie, ces êtres rencontrés qui vous accompagnent, que vous accompagnez, c’est un sentiment miraculeux et si puissant. Jai de très chers amis qui sont une vraie famille aussi importante que ma famille originelle. C’est une famille élue.

La blessure
une autre question fondamentale. Que fait-on de ses blessures ? Toutes les blessures, les failles me taraudent, les moments d’égarement qui nous renversent, les pertes nécessaires, les séparations qui déchirent, la maladie et la folie. La résilience m’inspire... Elle a orienté ma vie. Le mot compassion est un mot magnifique, les êtres en état de souffrance me bouleversent, je suis capable d’écrire un roman à partir d’un seul mot qui m’obsède. Celui-ci en est un.

 

Etre témoin de son temps

Très important de dire son époque, De réfléchir, et  de s’engager. D’ailleurs, écrire c’est s’engager. Je suis questionnée par ce que nous construisons ou ce que n’arrivons pas à construire : notre identité, si complexe aujourd’hui, l’égalité entre les êtres, la liberté qui paraît couler de source pour nous et qui a le prix du sang ailleurs. Toutes les formes d’engagement m’interrogent, me concernent, il n’y a pas d’engagements insignifiants. Je me sens responsable. Nous sommes les tisserands (chacun de nous) du tissu social dans lequel nous nous inscrivons. J’aurais aimé être Gandhi, la force achevée pour moi, ou Martin Luther king, ou Nelson Mandela, avec ce courage, cette constance,  à défendre leurs convictions Que vaut la vie d’un homme, récit, dont la figure centrale est un homme sublime de courage, et à qui on a pris la vie, est au cœur de ces questions. L’écriture en a été terrible et m’a fait vaciller.

Lorsque je suis en phase intense, plongée dans un texte à ne plus savoir qui je suis, où je suis, je deviens moine, en contemplation, je goûte l’instant, celui qui me fait perdre pied et celui qui est joie pure.

Je ne sais pas précisément pourquoi j’écris, sinon que l’écriture est au cœur de mon être et qu’elle me constitue.