TSIGANE-OISEAU

 

roman

Couverture

Mon premier combat de coqs s’est déroulé dans une arène improvisée, dans l’odeur fauve du sable moite de sang. La lumière déclinait annonçant la nuit. J’ai le souvenir d’un grand feu et l’odeur du sang  est associée à jamais à celui de la braise vive. Le feu chez nous était le lieu du rassemblement. On y accueillait les histoires de ma grand-mère, le violon de Luis, la voix déchirée de Tchirklo sur les cordes pincées de son luth, la liesse endiablée de la danse, l’éclat sauvage des tambourins, le rythme… et la mort...

J’ai toujours eu peur des combats, je tremble dès qu’un poing menace. Mais un combat de coqs n’est pas un combat comme les autres, affirment mes frères, c’est un combat sacré, un combat à mort.

Je n’aimais pas particulièrement les coqs, je m’en méfiais comme je me méfie de tous les tueurs. Ils étaient tenus en cage au bout du campement et je ne m’en approchais pas. J’étais venu à reculons, je n’avais, une fois de plus, guère eu le choix, les jumeaux m’avaient embarqué sur un On a deux coqs au combat, on y va, bouge-toi, il faut que tu deviennes un homme.

Dès que la portière s’est ouverte, j’ai entendu les cris. Les claquements de langues impatients de mes frères m’ont fait sortir de la voiture où j’étais blotti espérant qu’ils m’oublieraient. Nous nous sommes avancés, eux deux devant, moi derrière, et nous sommes entrés dans la fièvre. Une vingtaine d’hommes, la plupart à genoux, d’autres debout, le corps arc-bouté, le regard accroché au centre du cercle, hurlaient, invectivaient ceux d’en face, propriétaires eux aussi de coqs, parieurs enragés aux gestes fous. Oncles, cousins, amis, voisins, je les connaissais presque tous et pourtant je ne les reconnaissais pas dans ces masques dressés, à la bouche dure, aux yeux injectés. Je ne reconnaissais pas plus mes grands frères dans la frénésie qui s’était emparée d’eux. Ils s’étaient transformés, comme les autres, tendus, prêts à bondir, les doigts comme des serres. Ils avaient chacun un coq en lice et se dévisageaient férocement ne se souvenant plus qu’ils étaient frères. Ils se mesuraient en ennemis. Ne comptait dans l’instant que leur coq, le défi. La bataille. Le jeu. Le jeu à mort.

Au centre des regards, leurs deux coqs.

Ecrêtés, comme un premier sacrifice au combat, un rituel à ce qui allait suivre.
Même poids, même taille, même âge, ils s'inspectent, ils se tournent autour en griffant le sable, le creusant jusqu’à la terre rouge. Ergots d'acier dressés, ils se tournent autour sans se perdre du regard. Suspendus dans un chant guerrier. Gorge à nu. Un cri sorti du fond d’eux-mêmes, un cri sans âge ou de tous les âges et c’est l’affrontement, le combat. Comme une délivrance à la tension… insupportable. 

Le visage des hommes est tiré, bouche ouverte sur des dents serrées, corps crispés, mains violentes, je ne peux quitter des yeux mes frères.
Ils se ruent l'un contre l'autre. Chocs sourds, bruissements des ailes, respirations saccadées, la fureur est au milieu, elle est en chacun qui a oublié qu’il est homme. Ils prennent leur élan et se fracassent en plein vol. Encore un assaut, encore un, puis un troisième. Ergots d’acier brillant au soleil, les ailes écartées, coq zébré contre coq rouquin.  

A mort à mort !

Les coqs de combat répondent en un chant qui monte jusqu’au ciel entre ténèbres et lumière. Ils savent qu’ils vont mourir.

Le Zébré c’est lui, Le Rouquin c’est l’autre, tous leurs coqs portent leurs noms comme s’ils ne mourraient pas. Comme si c’était le même qui renaissait du sang versé en portant pour toujours leurs noms. Le Zébré pour les mèches blondes qui soulignent la chevelure noire du plus grand, de l’aîné et Le Rouquin, le cadet d’une heure, pour cette noirceur de soleil, ce roux qui surgit sous le moindre rayon.

Le Zébré, Le Rouquin, mes frères.
Le Rouquin a chancelé, esquisse encore quelques pas, retombe sur le flanc, pantelant. Le sang coule de son bec entrouvert, son plumage s’éteint, il ferme les yeux, sa tête pend avant qu’il ne s’effondre. Le Zébré  est debout, un œil fermé, l’autre vitreux, mais debout.

Le combat est terminé. L’argent change de main. Les paris sont réglés.

Le combat suivant est annoncé.

Le Zébré soulève son coq pantelant et l’embrasse comme on tue.

Je t’avais bien dit que cet ergot était plus performant. Savoir les placer, les adapter, c’est la moitié de la victoire. Je suis meilleur que toi pour l’arnage. J’ai bien raboté son ergot et t’as vu cette aiguille ? Tranchante comme l’espoir.  Et il rit.

Le Rouquin tient son coq mort à distance comme un chiffon ruisselant qui goutte sur ses doigts, sur le sol. Il essuie le sang sur un torchon, fourre coq et torchon dans un sac sans les regarder, avec une grimace, qu’il tente de dissimuler. Dégoût, tristesse ? Les vaincus ne sont plus regardés, ils sont au mieux plumés, dépecés, dévorés pour leur chair drue, pour leur force, pour leur agressivité. Chaque bouchée rend plus puissant.

Un grand coup dans le dos, leurs regards sont redevenus clairs, amicaux, ils se rappellent qu’ils sont frères. Et jumeaux. Et naturellement, ils me regardent. Moi, le petit.

 Alors, L’Oiseau, t’as vu ? 

 

 

 

 

Disponible : Editions ARCADIA - 9, rue du Champ de l'Alouette - 75013 PARIS - Téléphone : 01 40 09 79 79
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L'AVIS DES LECTEURS

 

On est un peu fatigué devant des piles de livres. Que lire ?
Surgit dans un coin, comme un appel, une couverture : des oiseaux autour d’un musicien qui a l’air un peu fou et si joyeux. Un titre Tsigane-Oiseau. Et l’appétit vient. On prend le livre, on le retourne et on est soudain touché par quelques phrases et on le lit, on ne peut décrocher. On le lit d’un trait. L’histoire de ces trois jeunes frères, deux coqueleurs, un musicien. Trois tsiganes aux prises avec leurs contradictions : des combats de coqs à déchirer et des chants d’oiseaux à pleurer de beauté, comme une métaphore du bien et du mal. On est avec eux dans leur campement où tout est beau et si dur. Oui, l’un et l’autre peuvent cohabiter en nous et dans ce camp tsigane où nous aussi nous vivons par la grâce de la plume si belle de Chantal Portillo, l’auteur, qui a écrit ce roman au pied du Canigou dans l’ombre de Lorca et de Shéhérazade. Et nous aussi comme le calife qui malgré lui a gracié chaque nuit Shéhérazade, on dit « encore, une nuit de plus. »
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David Ladiv

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Ce texte est magnifique ! Quelle force ! A mes yeux c’est l’un des plus beaux livres jamais écrit sur les Tsiganes. L’auteur a vraiment réussi à modeler ses personnages à travers les forces qui les animent, à les cracher tout cru, à nous faire entrer dans ce monde par l’intérieur en fine psychologue loin des clichés. Et elle nous dit aussi son amour de la vie, autant des humains que des animaux avec cette tendresse qui côtoie et fait rempart aux mouvements destructeurs qui animent les êtres. Il y’a des passages particulièrement beaux, pour moi, par exemple la danse de la du suel personnage féminin, qui brûle. Bravo, bravo, bravo ….  je suis émue et je félicite l’auteur que j’ai bien envie de rencontrer.

Marie Martin, Paris.

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Il faut dire que j'ai été très émue en lisant ce livre Dans ce roman, il y a la violence des combats de coq et la douceur des chants d'oiseaux. Il y a la dureté de la vie des Tsiganes et leur soif de liberté. Il y a le respect des traditions et la volonté d'y échapper. Il y a de l'amour, du désir et de la fraternité. Dans ce roman, il y a toute l'âme des "fils du vent" dont l‘auteur porte la

Lorence Andrade
Documentaliste Bourges

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Je viens de finir la lecture de "Tsigane-Oiseau". Un beau roman qui mêle la violence et l'intensité des passions à la Lorca et la tendresse, la bienveillance de regard pour chaque personnage, même les plus difficiles. J'ai été emmenée, séduite, émue. Merci !

Régine Paquet , comédienne

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Voir l'article sur Tsigane-Oiseau de Jean Michel Platier :

http://selfmadeartiste.com/tsigane-oiseau/

et celui de Babelio :

 http://www.babelio.com/livres/Portillo-Tsigane-Oiseau/828141#critiques

et encore celui de Bla Bla Blog :

http://www.bla-bla-blog.com/archive/2016/04/12/nos-oiseaux-nos-freres-5787821.html